La forêt sub-tropicale s’étend à perte de vue en bordure d’un littoral fait de mangroves, de collines et de grottes calcaires qui plongent dans la mer.
L’un des derniers refuges des Tainos qui ont laissé là, sous formes de dessins gravés dans la roche, de multiples empreintes émouvantes de leurs croyances et de leur mode de vie.Los Haïtises, aujourd’hui parc national, préserve efficacement ces Caraïbes d’antan. Une jungle et des baies telles que sans doute les premiers conquistadors les ont aperçues et que les Taïnos ont dû défendre.
Certains préfèrent gagner le Nord, la magnifique baie de Samana, La Terrenas, ses plages, le parc de Los Haïtises, en empruntant la nouvelle route rapide qui lie désormais Santo Domingo à cette jolie région de la République Dominicaine.
D’autres font le saut en avion.Venant de Punta Cana, nous avons opté pour le charme des petites routes – plutôt bonnes d’ailleurs – qui longent la côte ouest et qui serpentent à travers les collines et les champs pour parvenir directement aux portes de Los Haïtises.
Une campagne verte, émeraude, profonde où palmiers royaux, bananiers, avocatiers, cannes à sucre, arbres du voyageur et bien d’autres essences tropicales apportent leurs nuances de couleurs, de formes. Une campagne parsemée de petits bourgs modestes animés avec leurs maisons colorées, dotées, toutes ou presque, de leur patio et grille en fer forgé, leurs boutiques aux façades criardes.
Une campagne où l’on ne rencontre pas comme en Europe de vrais villages avec sa place, son église et ses fermes mais plutôt des hameaux disparates de toits de chaume où l’on croise des paysans, chapeau de paille sur la tête, caracolant sur des mules ou des chevaux. Quelques kilomètres plus loin des coupeurs de canne sont à la besogne entassant leur récolte sur des charrettes à boeuf. Beaucoup viennent de l’autre côté de l’île, d’Haïti.
Entre les creux des collines, hautes et verdoyantes, la route laisse place à un autre spectacle celles d’immenses rizières.A cette saison et au soleil couchant, noyées par les pluies des derniers orages, elles forment comme de vastes miroirs. L’agitation urbaine semble se dissoudre lorsque l’auto radio fi nit sa boucle sur le refrain entêtant du dernier tube de Bachata repris en choeur par nos compagnons dominicains.Une trêve généralement assez courte dans ce pays où chants et danses, plus encore qu’à Cuba, imprègnent chacun. Une sorte d’énergie vitalequi surgit aux premières notes d’une chanson.
En ces instants d’accalmie radio, la nature impose un autre tempo. Un rythme tranquille, apaisé. L’harmonie est délicieuse. Silences, grondements des vents, bruissements des feuillages, frôlements de vols d’oiseaux, les frontons de la forêt vierge annonce l’entrée du Parc Los Haïtises, « les petites montagnes » en langue Taïnos).
Déjà, la fraîcheur, l’humidité de cette immensité verte apaise la chaleur de l’après-midi. Nous sommes à fl anc des coteaux. Une brise légère commence à souffl er en direction de la mer que l’on aperçoit plus bas. On la devine portée par les montagnes toutes proches de l’imposante Cordillera qui retient les nuages. Une alternance de chaud et de pluies qui couvre le parc. Mais l’originalité Los Haïtises tient surtout à sa particularité géologique. Il constitue la plus grande région karstiques des Antilles.
Une formation très ancienne submergée puis émergée à l’occasion de brusques mouvements tectoniques et qui a vu surgir des collines de calcaires irrégulières, cassées, hautes pour certaines de 500 mètres. Pluies, rivières, cascades, mer et vents ont alors creusé un dédale de grottes, de gorges, de boyaux, sculptés des rochers géants dans la mer, le tout étant très vite recouverts d’un tapis vert abondant.
Un vrai paradis pour toute une faune de petits mammifères, de chauves-souris, de reptiles et pour toutes sortes d’oiseaux que l’on repère facilement à terre ou dans la baie : pélicans, frégates, pique boeufs, coqs d’eau. Perroquets et tortues marines sont plus rares. Los Haïtises apparaît en même temps comme un très grand jardin exotique.
Un jardin hétéroclite, dense, composé de bambous, d’arbres précieux (acajous et cèdres), de fougères, d’orchidées, de palétuviers.
Au fil du labyrinthe
Le plus agréable pour découvrir Los Haïtises, est de se laisser glisser sur l’eau en grimpant à bord d’une de ces longues pirogues qu’utilisent les pêcheurs. La plupart des touristes rejoignent le parc depuis l’autre rive de la baie de Samana, de la petite ville de Sanchez ou de Santa Barbara de Samana.
Nous avons opté pour un chemin plus court et encore plus séduisant avec comme point de départ l’écolodge de Cano Hondo en bordure du parc, lieu original qui mérite une étape (voir page 48). De là, l’accès aux grottes marines est facile.
A moins de dix minutes de marche du lodge un mouillage de fortune avec quelques pontons de bois est installé permettant d’embarquer sur une solide pirogue à moteur. Deux pêcheurs sont de retour. Ils exhibent deux longs poissons semblables à des barracudas.
La mangrove forme presque aussitôt un tunnel de végétation.On entrevoit plus que des bouts de ciels et les impressionnantes racines des palétuviers paraissent comme des pattes de crabes géants. Les troncs s’élancent droits pour happer la lumière.Et il y a cet incroyable concert des oiseaux nichés dans cette inextricable mangrove de chaque côté de la rivière. Ils virevoltent, piaillent, frôlent les têtes. Ils sont à moins d’un mètre. Non loin, des enfants juchés sur des barcasses branlantes plongent, se poursuivent.
De l’autre côté du miroir
La mangrove dessine un vrai labyrinthe avant qu’on ne débouche sur la vaste baie. Parfaite avec ses arches de pierre enjambant la mer, ses îlots de pains de sucre se détachant sur fond de ciel bleu, elle paraît figée mais magnifique comme sur une carte postale.
De grands et beaux oiseaux blancs traversent l’image. Une escadrille de pélicans s’envole lourdement tandis que des dizaines de mouettes sur les piles d’un ancien pont observent sans crainte notre approche.
Nous voilà passés de l’autre côté du miroir, revenus comme dans un enchantement mille ou deux mille ans en arrière au coeur de ces grottes marines qui furent l’un des derniers refuges des Indiens Tainos au lendemain de la conquête de l’île par les Espagnols. Un lieu idéal grâce aux innombrables cavernes naturelles creusées par la mer.
Quelques unes sont accessibles par de petites criques de sable et ouvertes au public. C’est là qu’on y découvre les témoignages les plus intrigants que nous ont laissés les Taïnos : des dizaines et des dizaines de dessins – très stylisés – ainsi que quelques bas reliefs.
Là, sous l’éclairage d’une torche on devine assez bien deux pêcheurs aux prises avec un lamantin. Tout près, une femme tenant un enfant. Ici, la figure de ce qui pourrait être un Dieu.
Dans une seconde grotte le doute s’installe.Les dessins sont aussi nombreux mais tout aussi difficiles à interpréter. Sur celui-ci, on croit voir une fusée avec deux hommes casqués à l’allure de cosmonautes.Quant à l’autre on croyait un bonhomme très stylisé dessiné par un enfant. Vrais, faux dessins, canulars ? « Ils sont authentiques pour la plupart » tranche Carlos notre guide qui cite les recherches menées régulièrement et encore maintenant par des universitaires américaines. Ces figures correspondraient parfaitement à la mythologie des Taïnos.
Ils croyaient en deux dieux : celui du Bien (Yukiyú) et celui du mal (Juracán) et le monde taïnos était divisé en quatre parties que gouvernaient respectivement le soleil et son jumeau Guatauba, tous deux fils du Dieu Yocahú, créateur des montagnes et du feu. Coastrique, commandait, lui, la nuit et les déluges.
Les cousins Mayas
Leur proximité avec les symboliques des Mayas est troublante. Ce que confirment les terres cuites et sculptures de pierre et d’os laissés par les Taïnos sur l’île avant que leur culture ne disparaisse. Avant que le Nouveau Monde triomphe et que leur territoire ne se réduise aux grottes de Los Haïtises. Les Taïnos ne sont-ils pas venus du Mexique et de la péninsule du Yucatan ? C’est de plus en plus probable.
Texte Patrice Fleurent, Photos Anaïs Fleurent