Région frontalière, théâtre d’invasions et de combats acharnés, la Franche-Comté a su préserver et mettre en valeur un patrimoine historique important. Le temps d’une courte escapade de Belfort à Besançon, sur les traces d’un génie de l’architecture militaire, Sébastien Le Prestre marquis de Vauban, la Région de Franche-Comté nous a fait miroiter quelques-unes de ses séduisantes facettes. De places fortes en musées, ce fut aussi l’occasion de croiser quelques personnages illustres partageant un même amour de la liberté comme Denfert-Rochereau, Bartholdi, Courbet, Toussaint Louverture ou Germaine Tillion.
Belfort, une Citadelle et un Lion
Depuis novembre 2013, Belfort est à 2h15 de Paris en TGV et mérite à plus d’un titre d’être visitée. Loin d’être austère, Belfort s’affiche pimpante et colorée grâce à l’obligation de peindre façades, volets et balcons de différentes couleurs pastel. Vivante et musicale, Belfort organise de grandes manifestations annuelles comme le Festival International de Musique Universitaire – FIMU – ou les Eurockéeennes ! Enfin, de par son histoire et sa situation stratégique au cœur de la trouée éponyme, Belfort ne manque ni d’attraits ni d’atouts : un Lion de renommée internationale et une Citadelle redessinée par Vauban après le traité de Westphalie restituant en 1648 la Franche-Comté au Roi de France.
Rejoindre à pied le sommet de la Citadelle permet de prendre toute la mesure de cette forteresse, 3 fois assiégée au XIXème siècle et jamais prise. Achevé en 1705, l’ouvrage demeure le seul exemple conservé en France du « 2ème système de fortifications Vauban » : innovation majeure de l’architecture militaire se résumant à détacher les bastions du corps de la place de manière à ce que la perte de l’un ou de l’autre ne mette pas en péril la défense ! Depuis la terrasse du château, une superbe vue à 360° et à l’horizon les Vosges. De part et d’autre de la ville, la trouée de Belfort, ce couloir naturel propice aux invasions. Au Nord, perchée sur une colline verdoyante, la tour de la Miotte. Tour dont l’origine se perd dans la nuit des temps mais dont la légende perdure : c’est là-haut que les cigognes viendraient déposer les nouveau-nés belfortins, qui de ce fait prennent le nom de « Miottins ». A nos pieds, la vielle ville dont les fortifications en forme de pentagone sont remarquablement conservées. Seul un pan de muraille et la porte de France à l’Ouest furent détruits à la fin du XIXème siècle pour créer la place de la République. Place où l’on peut aujourd’hui admirer le monument des 3 sièges, symbole du patriotisme des Belfortins et hommage au colonel Denfert-Rochereau, la dernière œuvre du sculpteur Frédéric-Auguste Bartholdi.
Dans la grande caserne reconstruite en 1826 par le général Haxo à l’emplacement du château médiéval se trouve le Musée d’histoire. Il recèle l’un des rares plans reliefs de Vauban qui nous soit parvenu intact. Il abrite aussi le nouvel espace Bartholdi, dédié à ce sculpteur célèbre pour avoir signé la statue de la Liberté éclairant le Monde ! Dans cet espace, on trouve quelques œuvres de Bartholdi et surtout d’intéressantes études du Lion de Belfort et de sa réplique parisienne de la place Denfert-Rochereau en métal martelé à l’échelle 1/3. Pour immortaliser les 103 jours de résistance héroïque du Colonel Denfert-Rochereau et des Belfortins lors du siège Prusse de l’hiver 1870-1871, Belfort souhaitait une œuvre exceptionnelle. Frédéric-Auguste Bartholdi sut trouver les mots justes pour convaincre :
« un lion colossal, harcelé, acculé et terrible en sa fureur » !
Il s’imposa d’évidence et ce jusque dans le choix controversé de l’emplacement de l’œuvre, au pied du château. Détaché de la roche calcaire, impressionnant avec ses 22 mètres de long par 11 mètres de haut, il faut se rendre au soleil couchant sur le versant Ouest de la Citadelle pour admirer le Lion de Belfort paré de ses plus beaux habits lorsque sa robe de grès rose baigne dans une douce lumière orangée ! La rumeur laisse entendre que Bartholdi se serait suicidé pour avoir oublié de sculpter la langue du fauve. Vérifications faites, il n’en est rien : derrière les crocs se cache bien une langue et quant à Bartholdi il est décédé de mort naturelle le 5 octobre 1904 à Paris.
A ne pas manquer : le grand souterrain qui servit de casernement lors du siège de 1870. C’est un parcours scénographique réussi, alternant sons, lumières et projections à même la roche, qui retrace l’histoire de Belfort et de sa Citadelle. Et puisque Belfort ne manque pas de bonnes tables, je n’en citerai qu’une pour l’avoir appréciée, « le Pot au Feu ». Une excellente adresse au cœur de la vielle ville avec son ambiance chaleureuse et ses spécialités franc-comtoises : Croûte aux morilles et Suprême de poulet au vin jaune sont un véritable régal à accompagner impérativement des meilleurs vins du Jura !
Champagney, la Maison de la Négritude et des Droits de l’Homme
A une vingtaine de kilomètres à l’Ouest de Belfort, non loin de la célèbre chapelle de Ronchamp de Le Corbusier, le village de Champagney est une étape intéressante de la « la Route des Abolitions ». Quelques mois avant la Révolution de 1789, les Champagnerots furent les premiers Français à réclamer l’abolition de l’esclavage des Noirs. Ainsi, la Maison de la Négritude et des Droits de l’Homme conserve un fac-similé de cet engagement historique inscrit dans l’article 29 du cahier de doléances daté du 19 mars 1789. De taille inversement proportionnelle à la richesse de son contenu, ce tout petit musée a été fondé en 1971 par René Simonin sous le haut patronage de Léopold Senghor. 3 salles en enfilade abordent 3 thématiques : les principaux acteurs de l’abolition de l’esclavage ; les conditions de vie abominables et révoltantes des esclaves du commerce triangulaire ; un inventaire détaillé de l’esclavage aujourd’hui dans le monde. Un bien triste constat qui révèle l’ampleur de la tâche à poursuivre. Une visite dont on ne sort pas indemne et qui interroge aussi sur l’intemporelle propension de l’Homme à exploiter son semblable.
Besançon, le chef d’œuvre de Vauban
Nichée au creux d’une boucle formée par le Doubs, Besançon jouit d’une situation exceptionnelle. Si la vielle ville ne manque pas d’intérêt avec quelques incontournables comme la cathédrale Saint Jean, la Grande Rue, le Musée du temps ou le Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie, la fierté de Besançon reste sa Citadelle. Chef d’œuvre de Vauban, édifié à prix d’or entre 1668 et 1711, elle coiffe le mont Saint Etienne, verrouillant ainsi au Sud-Est toute tentative d’intrusion. Réputé imprenable, cet ensemble d’architecture militaire figure depuis 2008 sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Avec près de 300 000 visiteurs par an, la Citadelle de Besançon est aujourd’hui le 1er site touristique et culturel du Centre-Est de la France. Derrière ses murs épais, 3 musées portent le label « Musées de France ». Le Musée de la Résistance et de la Déportation qui accueille tout l’été 2 expositions temporaires consacrées à une Résistante d’exception récemment entrée au Panthéon : « Germaine Tillion, les armes de l’esprit » et « Germaine Tillion, Ethnologue dans les Aurès ». Le Musée Comtois qui présente l’histoire des hommes et des paysages qui ont forgé la Franche-Comté. Enfin, le Muséum qui affiche clairement sa mission de conservation des espèces et de préservation de la biodiversité. De plus, ceux qui s’intéressent à la faune et à la flore pourront visiter l’Insectarium, le Noctarium, l’Aquarium ou encore partir à la recherche des différentes espèces du jardin zoologique disséminées sur les 12 hectares de la Citadelle!
Une belle promenade à emprunter : le chemin de ronde avec ses vues vertigineuses sur la ville et le Doubs.
Dans la chapelle Saint Jean, un spectacle multimédia retrace l’histoire de Besançon de Jules César à nos jours. Si la mise en scène se veut originale et même grandiose avec projections géantes sur les murs, le chœur et la voûte, la réalisation trop dense et le mauvais mixage de la bande son nuisent malheureusement à la compréhension générale.
Ornans, le Musée Courbet
Le nouveau Musée Courbet d’Ornans, la ville natale du peintre, a réouvert ses portes en 2011 après 3 ans de travaux. Une réalisation audacieuse sur les bords de la Loue réunissant 3 maisons d’origine médiévale dont l’hôtel Hébert qui a vu naître Gustave Courbet. En prenant le parti risqué d’associer patrimoine architectural et modernité, Christine Edeikins l’architecte du projet, s’inscrit à sa manière dans l’esprit du peintre. Une liberté de penser et de créer que Courbet résumait ainsi : « Il faudra que l’on dise de moi, celui-là n’a jamais appartenu à aucune école, à aucune église, à aucune institution, à aucune académie, surtout à aucun régime si ce n’est le régime de la liberté »! Résultat : un musée très réussi ! Côté Loue, de larges baies vitrées qui depuis l’intérieur découpent des pans de paysage pour souligner cette relation particulière qu’entretenait le peintre avec la nature. Côté rue, une façade de verre et un cube de métal en légère saillie pour rompre l’alignement urbain et marquer ainsi l’entrée du musée.
L’exposition permanente, qui occupe la majeure partie du musée, retrace de façon chronologique la vie de Gustave Courbet. Une quinzaine de petites salles intimistes où sont principalement proposés des tableaux de petits et moyens formats avec par moment cette impression singulière de s’inviter chez les Courbet ! Très peu de grands formats donc, mais la possibilité de visionner dans le cube de métal suspendu au-dessus de l’entrée quelques œuvres majeures comme « un enterrement à Ornans » ou bien « l’origine du Monde ». Un corridor de couleur rouge pour symboliser la révolution de 1948 vient rappeler l’engagement de Gustave Courbet aux côtés des révolutionnaires. Dans la dernière salle sont réunies les peintures de l’exil. Pour avoir soutenu les Communards en 1870 et participé au démontage de la colonne Vendôme, Gustave Courbet fut condamné à payer l’intégralité de sa reconstruction. Afin de se soustraire à cette décision de justice ubuesque, il se réfugia en Suisse où il s’éteignit le 31 décembre 1877 sans avoir revu sa terre natale.
Deux œuvres de cette exposition passionnante méritent une attention particulière : « Les Paysans de Flagey revenant de la foire », un tableau de 2 x 3 mètres qui fit scandale au salon de 1851. De nos jours, il fait surtout écho à cette période ou Courbet, novateur et frondeur, s’autorisa à représenter une scène de la vie quotidienne dans des dimensions jusque-là réservées aux grands de ce monde ou aux sujets religieux. « Le Chêne de Flagey » une toile peinte à la ferme familiale et atypique dans sa composition centrale que le musée vient d’acquérir auprès du collectionneur japonais Michimasa Murauchi pour la somme de 4 millions d’euros. Acquisition financée via une souscription ayant réuni l’Etat, la Région, le Département du Doubs et pour l’essentiel des entreprises et des particuliers ! Une belle preuve de l’attachement des francs-comtois à leur patrimoine artistique!
Le Château de Joux, 10 siècles d’histoire
Dans la thématique des places fortes remarquables, le Château de Joux se distingue à plus d’un titre. A une soixantaine de kilomètres au Sud-Est de Besançon, non loin de Pontarlier, il se dresse fièrement à l’extrémité d’un piton rocheux surplombant La Cluse-et-Mijoux. Construite au XIème siècle par les Sires de Joux, cette forteresse a été maintes fois repensée et agrandie au fil des progrès de l’architecture militaire : tout d’abord, au Moyen-Age sous Charles Quint; puis au XVIIème siècle avec Vauban et fin XIXème siècle par le Maréchal Joffre. Conscient de la vulnérabilité du site, se trouvant à portée de canon depuis la colline voisine, Vauban tenta de dissuader le Roi Soleil d’y entreprendre des travaux de fortification. Mais ce que veut le Roi ayant force de loi, Vauban s’exécuta ! Et ce pour notre plus grand plaisir, puisqu’aujourd’hui ce château à lui tout seul est un véritable livre d’histoire à ciel ouvert !
Au XVIIIème le château devint prison d’état. Mirabeau y séjourna en semi- liberté « tolérée » à la demande de son père. Toussaint Louverture y fut emprisonné sur ordre de Napoléon.
Un moyen radical pour neutraliser cet esclave affranchi devenu en 1801 Gouverneur Général à vie de Saint-Domingue. 12 mois de captivité dans l’humidité, le froid et la solitude eurent raison de Toussaint Louverture qui, après une vie de lutte pour abolir l’esclavage, s’éteignit dans son cachot le 7 avril 1803. De ce fait, le Château de Joux est aujourd’hui un lieu de mémoire sur la Route des Abolitions.
Ce patrimoine historique, artistique et culturel nous ferait presque oublier que la Région de Franche-Comté possède d’autres richesses tout aussi intéressantes. Des paysages contrastés souvent protégés, des terroirs riches et variés, une gastronomie reconnue et des vins de caractère nés de cépages indigènes comme le savagnin, le poulsard ou le trousseau. Nous avons effleuré ce versant « nature et plaisir » de la Franche-Comté lors d’une halte au village de Malbuisson sur les bords du lac de Saint-Point. A une quinzaine de kilomètres de la Cluse-et-Mijoux, en plein Jura à 900 mètres d’altitude, l’endroit respire le calme et la tranquillité. Avec en prime une très bonne adresse : « Le Bon Accueil », une Auberge Contemporaine 3 étoiles tenue par Catherine et Marc Faivre avec 12 chambres et un restaurant gastronomique récompensé d’une étoile au Michelin et de trois toques au Gault et Millau. Cuisine inventive et raffinée élaborée à partir de produits authentiques pour le bon et le beau. Très bien situé, l’établissement se trouve à moins d’une centaine de mètres des berges du lac. De belles balades en perspectives qui prennent un jour très romantique lorsqu’au petit matin la brume se déchire lentement pour révéler petit à petit un paysage fantasmagorique…
Carte
Photos de Jean-Luc Guérin, du CRT Franche-Comté et de Laurent Cheviet pour le CRT Franche-Comté