Cap sur l’Antarctique. Une semaine sur le continent blanc, pendant laquelle nous sommes portés par la beauté des glaces, par les réflexions du soleil et par les paysages propices à la méditation.
A bord de l’Austral de la Compagnie du Ponant, le commandant Lemaire ne plaisante pas avec la sécurité. L’exercice est sérieux :« Au signal d’alarme général d’abandon du navire, munissez vous de votre gilet de sauvetage, dirigez vous vers votre point de rassemblement. Une vérification de votre présence à ce point sera effectuée ».
Nous sommes arrivés à Ushuaia, cap sur la péninsule antarctique. Voilà déjà 24 heures que nous voyageons. Nous sommes devenus des tubes tout comme l’appareil qui nous a transportés depuis Paris via Sao Paulo, Rio de Janeiro et Buenos Aires.
Des tubes digestifs, des tubes d’attente aux escales, des tubes dentifrice ! Nous n’aspirons qu’à nous lover dans notre cabine avec balcon et vue sur la mer. Encore une compression avec le gilet de sauvetage et nous serons libres. Libres de bien manger, libres de nous déplacer.
Reste encore à franchir le Passage du Drake soit les 40 ème hurlants,les 50 ème rugissants et 60 ème grondants. Presque des cap-horniers, parés au mal de mer. Surprise, le commandant Lemaire nous annonce un calme plat sur une mer d’huile.
Quarante huit heures de navigation qui seront tranquilles, quarante huit heures à buller avant les grands frimas. Le bateau est chic, très chic, avec ses salons, ses restaurants et son spa. Ses hôtes sont très élégants dans leur tenue du soir.
Mais trêve de mollesse, nous sommes au troisième jour de voyage et les icebergs sont au rendez-vous. Le ciel est limpide et nous voilà, drôles de manchots du soir, dandinant et dodelinant sur le pont, tous revêtus de notre parka rouge. Tabulaires, géométriques, tels des parallélépipèdes dans l’espace, les icebergs flottent à la surface de la mer, translucides et saillants.
Leur masse est impressionnante et impose un respect, une fragilité qui nous renvoie à notre condition de simples pékins.
Ils viennent du fond de l’histoire chargés de milliers d’années et se meurent lentement au fil du temps dans la mer de Weddel. C’est de l’inlandsis qu’ils se détachent, à peine animés par le vol des oiseaux de mer. Brff, trop d’air frais et nous voilà réunit autour d’un bouillon chaud, les yeux humides et le corps transi. L’affaire se complique, le vent se lève et les doigts sans gants deviennent gourds.
Conférences et films animent la soirée, puis tout dort à bord, la première expédition est prévue pour demain. Pour cela en ce jour même, avant la perspective du débarquement sur la péninsule, chacun a dû procéder, tuyau d’aspirateur à la main à la décontamination de ses vêtements.Pas question de déposer des poussières exogènes sur le continent. Nous voilà êtres de ménage des obligations écologiques qui sont faites aux visiteurs. L’Austral arrive à l’îlot Paulet : premiers rendez vous avec les manchots. Il a déjà fallu contourner les icebergs, s’assurer de la fragilité de la banquise pour atteindre la terre. Eux les manchots Adélie sont près de 100 000 vêtus de leurs fracs, nous les homos sapiens-sapiens, une centaine équipés de parkas rouges et de gilets de sauvetage.
La marche de l’Empereur
Une légère appréhension pour désembarquer de l’Austral – on pourrait tomber dans une mer à 2° – les prises de bras fermes de l’équipage et le tour est joué. Face à face, humains et manchots. Ils sont curieux, regardent, examinent et s’en vont maladroits sur leur deux pattes. Les sapiens-sapiens s’asseyent, les manchots s’approchent. La rencontre est belle, sans peur, elle permet d’imaginer ce que pourrait être le contact entre les espèces, si les génocides pratiqués sur les animaux n’avaient pas inscrit la terreur de nos êtres dans leurs gênes.
Pensons aux massacres des baleines…On rit des manchots, ils sont si drôles dans les déplacements et leurs alignements à la queue – leu – leu. On s’émeut de leur fragilité et de leur adaptation à des univers si rudes.On finit par les aimer avec la fragilité d’enfants trop attendris par leurs peluches. Le manchot –qui sent néanmoins fort le poisson – est adorable. Retour à bord.
Déjeuner au restaurant Le Rodrigues ou au restaurant Le Coromandel, comme une bouffée d’atmosphère tropicale et exotique au milieu des glaces, le buffet est asiatique et fait saliver les commensaux.
Tout est fait pour rêver dans ce bout du monde où nous transporte l’Austral, les nems, les sushis, les makis sont à profusion et les vins sont délicieux, tandis que le bateau navigue au gré des glaces dans la mer de Weddel. Le besoin de manchots se fait sentir, on a encore envie de la magie de la rencontre et rapidement s’organise un nouveau débarquement à la découverte des manchots papous, installés au pied d’une falaise.
C’est l’espèce la plus rapide, celle qui peut nager à plus de 35 km/heure et qui se jette en mer telle une torpille pour se rassasier de krill qui commence à pulluler, et fera à un autre bout de la chaîne alimentaire le délice des cétacés à fanons. Voilà des mots qui font frétiller tous les participants au voyage, cétacé ou mieux rorquals, baleines en pleine migration avec l’été austral.
L’orque mammifère, super prédateur fait peur, aux humains et aux phoques. Chassant en groupe ils élaborent des stratégies d’enfermement, d’épuisement et de poursuite de leurs proies pour se nourrir; malheur à l’animal isolé qui se fera cerné.
Un film dès le retour à bord nous raconte l’histoire des 3 orques qui soulèvent un bloc de glace pour faire chuter le phoque qui y a trouvé refuge. La lutte des espèces est impitoyable et les humains peuvent y trouver la justification de leurs horreurs. Mais à bord, par la grâce de l’Antarctique tout est feutré.
La mer de Weddel est calme et la navigation peut ainsi se poursuivre au long des jours et des côtes de la péninsule, en croisant des baleines et des phoques. L’île de Cuverville est à nous, le déjeuner barbecue sur le pont extérieur aussi, la baie de Dallman s’ouvre sous les flancs du bateau.
Port Loccroy que nous rejoignons en ce cinquième jour de déplacement est en vue. Il s’agit d’une vieille base anglaise qui fonctionne aujourd’hui comme musée …Et boutique de souvenirs. Incorrigibles homos sapiens-sapiens qui y vendent des manchots en peluche made in China !
De là partent chaque année des milliers de cartes postales qui attestent du développement du tourisme en Antarctique et de la fréquentation croissante du continent blanc. Mais soyons vrais, on prend plaisir à faire du shopping désormais indissociablement lié au tourisme même à l’autre bout de la terre et l’on ne renâcle pas à acheter qui des tee-shirts qui des mugs pour pérenniser dans son quotidien un souvenir du voyage d’une vie.
Rugissant, Le Drake
Les jours s’étirent comme les phoques au soleil après une longue immersion dans la mer.
Le bateau évolue de sites en sites, de neige en pierre, d’îles en cratères engloutis comme Deception Island qui continue d’attester de la présence du volcanisme en Antarctique, ici endormi, mélange de cendres, de scories et de glace qui fusionnent dans un même ensemble déroutant.
Le retour est proche et qui dit retour dit traversée du Drake et gala de dîner du commandant. Un double mouvement de tangage et de roulis se met en place. Une course de vitesse est engagée avec la houle, plus vite le navire sera en avance sur les vents, plus vite sera traversé le Drake et évitée la tempête.
Après le Drake Lake de l’aller se prépare le Drake Shake ou Drake Taxe du retour ; les eaux frappent les flancs du bateau, les vitres de la salle de restaurant sont claquées par la mer, chacun semblent marcher comme un manchot mais l’heure reste à la joie. Les voyageurs ont revêtu leurs tenues de soirée, bels hommes et belles dames évoluent dans les salons.
L’atour est simple et de bon goût car l’on reste dans une croisière d’expédition et le naturel est de mise. Il y a là des couples qui ont fait 10 fois le tour du monde, ceux qui connaissent le Spitzberg au Nord et les Galapagos à l’ouest, ceux qui sont passionnés des déserts glacés, tous échangent autour d’un verre de champagne sur leurs passions à découvrir le monde.
C’est un théâtre qui a pour scène la planète et où se joue l’éternelle comédie humaine de l’être et du paraître. Mais la houle veille, elle se fait plus pressante et oblige les premiers embarbouillés à rejoindre leurs cabines.
Les plus résistants affrontent le chahut du navire tandis que les bouteilles mal amarrées tombent à terre. Le Drake sait rester raisonnable et de retour à l’abri des vents aux portes d’Ushuaia , la croisière retrouve le calme et le soleil. Encore une dernière nuit à bord et sera venu le temps de se transformer en tube aérien pour regagner l’Europe, sans avoir le bonheur de réfléchir les yeux écarquillés dans la lumière.
Texte Louis Dorian