
Le littoral Atlantique ne manque pas de charme… De Lisbonne au Havre, à bord d’un navire flambant neuf, on nous a promis un voyage culinaire dans un décor exceptionnel. Avec 3 chefs étoilés. Le credo : « sain, gourmand, élégant ».
Texte et photos: Michèle Lasseur
La croisière gastronomique relève des grandes traditions de l’art de voyager. A Lisbonne, les 3 chefs étoilés donnent le « la », tels des chefs d’orchestre avec leur baguette sur le pupitre : le portugais Rui Paula est accompagné de 2 étoiles montantes au firmament de la gastronomie belge et hollandaise, Benoît Dewitte et Thijs Meliefeste consacré meilleur chef de l’année 2020 par le guide Gault & Millau.
Le Chef Rui Paula Le Chef Thijs Meliefeste Le Chef Benoit Dewitte
Bruissement et agitation fiévreuse, le World M/S Explorer Rivages du Monde est à quai. Un joli petit paquebot qui prend des allures de yacht lorsqu’il croise les mastodontes de la croisière. Les 180 passagers qui montent à bord admirent la forme élancée de la coque d’acier. Et se réjouissent de découvrir le littoral Atlantique en défiant les rides du quotidien. Embarquement… clientèle tout excitée « enfin on y est », passagers, conférenciers et « habitués » des croisières se rencontrent. Gourmand qui s’en dédit. Le personnel français, mauricien et maghrébin est courtois et d’une politesse extrême.
Notre palace lancé sur la mer a une vraie gueule de bateau : petite taille (126 m de long et 19 m de large), propulsion hybride et système de stabilisation qui respectent les fonds marins fragiles. A l’arrêt près des côtes, un nouveau système de stationnement dynamique permet à ce pur-sang de rester en place sans utiliser les ancres.
Je délaisse l’ascenseur et prends l’escalier jusqu’au pont 6 où la cabine 616 m’est attribuée. 20 m2, une vaste baie ouvre sur un balcon extérieur de 5 m2 où il ne manque qu’une belle jardinière avec des géraniums. On ne se vautre pas dans la soie mais c’est aussi élégant que sur les magazines de décoration. Elle dispose d’un espace-salon avec canapé contemporain pour les fessiers ramollis, télévision et bureau, deux vrais lits moelleux rapprochables. La salle de bain est spacieuse avec WC et douche à l’italienne, peignoirs, serviettes et produits de beauté L’Occitane en Provence. On est loin d’une solitaire dans l’Atlantique. « Ce sacré navire c’est presque un manoir flottant », s’exclame un monsieur âgé.
En attendant, l’exercice d’abandon du navire révèle comme à l’accoutumée les passagers facétieux. Ils n’hésitent pas à se saluer quand ils se croisent dans les escaliers, leur volumineux gilet au cou et le sifflet en bouche.
Lisbonne, la Blanche
Capitale européenne la plus occidentale, la ville aux 7 collines séduit d’emblée le promeneur : ruelles pavées, maisons aux façades pastel, larges avenues aux trottoirs décorés de mosaïques, tramways jaunes minuscules et grinçants, puissante forteresse médiévale, monastère montant la garde au bord du Tage… Pour partir à l’assaut du fameux quartier du Bairro Alto, la solution la plus typique est d’emprunter l’ascenseur de Santa Justa, œuvre de Raoul Mesnier du Ponsard, disciple de Gustave Eiffel. Il aboutit aux pieds des ruines de l’église Do Carmo et ouvre sur les ruelles en pente.
Non loin du belvédère de Graça, l’église Saint-Roque rappelle l’histoire et les fastes d’une ville qui régna, jadis, sur la moitié du monde. Or des sculptures, argent des ostensoirs, peintures en trompe-l’œil du plafond, toute la démesure du baroque est ici concentrée.
Direction Belém où le Tage se dévoile, sur fond de trilogie historique avec le Monument aux Découvertes, la tour de Belém autrefois au milieu des flots et aujourd’hui à quai. Le monastère de Hyéronymites (Jeronimos) construit au 16e siècle pour le retour de Vasco de Gama célèbre la période de gloire du Portugal, celle d’un empire maritime fondé sur les grandes découvertes. C’est d’ailleurs l’or rapporté qui permit de financer sa construction.
A la « Antigua Confeitaria de Belém » fondée en 1837, une vénérable pâtisserie décorée d’azulejos bleu et blanc, nous retrouvons des passagers en train de déguster des pastéis de Belém. Ces petits flans pâtissiers sont cuits dans une pâte feuilletée, d’après une ancienne recette du Monastère des Hiéronymites… tenue jalousement secrète.
Lisbonne, la place Pedro IV Lisbonne, le monument aux Découvertes Theater – Deck 4 World Explorer –
Lisbonne, le pont du 25 avril
A 18 h, rendez-vous au pont 7 pour le départ : lentement le World Explorer passe sous le pont du 25 Avril. Suspendu sur le Tage, il ressemble au Golden Gate Bridge de San Francisco. Sur les hauteurs de la municipalité d’Almada, le Cristo Rei, les mains étendues, regarde la ville. « Cela vous rappelle quelque chose ? » me demande mon voisin. Cet adepte des conférences organisées dans l’auditorium, variante de l’amphithéâtre grec avec de confortables fauteuils, ne me mènera pas en bateau : « Bien sûr, le Corcovado à Rio de Janeiro ! ».
Voguer, échanger, rêver c’est ce que nous promet dans un français parfait le commandant Amadeu Albuquerque. Il est assisté de 111 membres d’équipage de 15 nationalités. Bienvenue au restaurant au pont 4. Dans un brouhaha feutré, on repère les tables et on change parfois de place… Si le soir, le dress code incline à plus d’élégance, l’atmosphère n’en est pas guindée pour autant. Les échanges sont facilités par l’usage du français. De très dévoués serveurs Mauriciens et Maghrébins servent les repas « à l’assiette ». Les deux dîners de gala sont signés par le chef étoilé portugais Rui Paula qui transmet la saveur de l’Atlantique à ses plats.
Porto
Considéré comme meilleur poste d’observation, le pont 7 est occupé par de nombreux passagers. Pour la première escale, le commandant ne semble pas en être affecté et dirige la manœuvre sous l’œil approbateur des connaisseurs.
« Porto a couché ses tours Eiffel à l’horizontale, elles lui servent de ponts » écrivait Paul Morand. Eh oui, le pont ferroviaire qui porte le nom d’une reine, Maria Pia, avec son arche unique donne une impression de déjà-vu. Garabit en Auvergne, le viaduc de Garabit d’Eiffel ! C’est bien lui qui est venu le construire à Porto en 1871.
Porto, le pont Dom-Luis, construit selon les techniques de Gustave Eiffel, survole le Douro
L’autre grand pont de fer, Dom-Luis 1, avec deux tabliers métalliques superposés bondit au-dessus des flots pour relier Vila Nova de Gaia à Porto. Il est l’œuvre d’un associé d’Eiffel, Téophile Seyrig. La ligne de métro passe sur sa partie supérieure, les voitures et les piétons circulent sur le niveau inférieur d’où le regard embrasse le centre historique et Vila Nova de Gaia avec ses chais aux toits rouges qui arborent le nom de leur marque de fabrique. Les passagers les plus zélés ont opté pour la visite guidée des chais, des entrepôts construits à même la roche des collines de Gaia. Ils prennent des notes et mâchent leur stylo. Ou brandissent leur DJI pocket pour faire des video et ne rien perdre du discours du guide.
« Au printemps, le vin de Porto quitte les quintas pour être élevé dans les chais. Selon sa qualité, il entame un vieillissement plus ou moins long, soit en fûts, soit en bouteilles pour devenir « ruby, tawny ou vintage ». Après force dégustations, le Panisse local lance derrière sa moustache de janissaire : « les visiteurs restent en ville. Pourquoi ne pas descendre du côté de Gaia et aller déjeuner de fruits de mer au village de pêcheurs d’Afurada ? » Couleur locale garantie avec du fado dans les tavernes.
Saint-Jacques-de-Compostelle, ville-phare de la chrétienté
Jour 4, nous atteignons la Corogne, célèbre pour sa tour d’Hercule, phare romain emblème de la ville. Et porte d’accès à la ville du plus célèbre pèlerin, Saint-Jacques, témoin des premiers miracles du Christ. Venu en Espagne annoncer l’Evangile, son corps aurait été apporté en Galice. Après le reflux des Maures, son tombeau fut retrouvé grâce à l’intervention d’une étoile miraculeuse au lieudit « Campus Stellae », le « Champ de l’étoile » devenu Compostelle. Les cloîtres, les pierres grises, les nuages évoquent la Bretagne plutôt que l’Espagne. Des coquilles Saint-Jacques sculptées dans la pierre rappellent que nous sommes dans la ville aux 46 églises et aux 114 clochers.
Saint-Jacques de Compostelle, la cathédrale
La foi du Moyen Age poussa très vite vers la Galice les foules des grands pèlerinages. On peut imaginer ces myriades de fidèles suivis par des ménestrels et des trouvères. De nos jours, à pied ou à vélo, ils ont deux attributs : le bâton et le carnet. Et attendent patiemment de faire valider leur carnet, « credencial del peregrino », au bureau d’accueil des pèlerins pour recevoir la Compostela. Seule condition : avoir parcouru les 100 derniers kilomètres qui les séparent de la Cathédrale… à pied (ou 200 km à vélo ou à cheval) de façon continue. « La marche corporelle que l’on s’impose dans le pèlerinage entraîne une marche de l’esprit » confie un convaincu. L’exaltation provoque des commentaires : « Inoubliable ! » Cela amuse quelques joyeux drilles de nature frondeuse qui préfèrent les célèbres tartes de Santiago.
Le soir, dîner de gala à 4 mains avec 2 chefs étoilés Michelin : Benoît Dewitte, jeune talent des Ardennes belges et le hollandais Thijs Meliefeste. Le directeur de croisière et chanteur d’opéra, Thomas Huertas, les présente sur un air de Carmen. Les maestro sont en cuisine. Au menu : capuccino de poivron aromatisé au gingembre, turbot confit sauce hollandaise façon Dewitte accompagnée d’une émulsion de verveine. Pour le dessert : fraises marinées rhubarbe avec crème catalane légère.
Le World Explorer est ainsi devenu pour certains une sorte de résidence secondaire qui voyage. Plus de valises à faire et à défaire. Il manque juste les portraits de famille sur le meuble secrétaire de la chambre.
Spa – Treatment Room – Deck 7 Aft Starboard World Explorer – Atlas Ocean Voyages Spa – Sauna – Deck 7 Aft Starboard World Explorer – Atlas Ocean Voyages
Temple du bien-être, le spa del Mar propose des programmes où relaxation, esthétique ont une place de choix. Eloge de la paresse, duo des sens… Avant de penser à un embellissement, offrons-nous un massage qui délasse, stimule la circulation sanguine et détend les muscles. Je m’abandonne aux mains expertes d’une thérapeute, ses gestes souples et naturels font le reste. Elle procède à une sorte de roulage de la peau puis à des pressions qui allègent les tensions. Ce massage d’une heure sur les eaux de l’Atlantique remet en forme la passagère prête à construire des châteaux en Espagne. Nous arrivons à Bilbao.
Bilbao
Au nord, l’Espagne a cousiné avec les Celtes. Elle emmène ses visiteurs au vert. Métamorphés en terriens, nous voici à Bilbao. La capitale du Pays Basque espagnol aime les ponts. A l’extérieur de la ville, celui de Biscaye, est un pont transbordeur édifié à la fin du XIXe siècle et classé (depuis 2006) au patrimoine mondial de l’Unesco.
Bilbao, l’arche rouge de Buren et le musée Guggenheim
On entre dans Bilbao par une immense arche rouge vif, l’Arcos Rojos, planté au milieu du pont de la Salve sur l’estuaire du Nervion. Signé par un apôtre du noir, Daniel Buren. L’artiste français a œuvré aux portes du musée Guggenheim qui souffle en 2022 ses 25 bougies. Un million de visiteurs chaque année viennent visiter le chef d’œuvre de Frank Gehry. Et tourner autour pour photographier les variations de la lumière (de l’argenté au doré selon l’heure) sur les volutes de titane de sa carapace. Une prouesse architecturale, emblème de la mutation de Bilbao. La cité espagnole revient de loin ! Dans les années 80, personne n’aurait donné cher de sa peau avec l’effondrement des chantiers navals, de la métallurgie et de la sidérurgie.
Entrée du métro signée Norman Foster Le Guggenheim de Frank Gehry L’araignée » Maman » de Louise Bourgeois Le chien de Jeff Koons à l’entrée du Guggenheim
Une autre star, l’architecte britannique Norman Foster a conçu en 1995 la trentaine de stations du réseau métropolitain. L’accès se fait par des structures en verre qui se transforment la nuit en lanternes illuminées, surnommées avec malice « Fosteritos ». « Elles ressemblent de loin à des queues d’écrevisses grises » s’exclame un touriste facétieux.
Nous regagnons le World Explorer et sommes accueillis dans le grand salon par les 3 musiciens du groupe de jazz « Infinity » sur des airs de Diana Krall et de Frank Sinatra. On se croit presque dans une série télévisée dont l’action se situerait à bord d’un yacht, surtout quand Thomas Huertas, le directeur de croisière, entonne des airs d’opéra.
La Rochelle
Eloquente, puritaine, cette ville de marchands semble bien dans ses murs. Les façades de pierre blanche, les rues à arcades, La Grosse Horloge, l’Hôtel de Ville Renaissance et les belles demeures d’armateurs des 17e et 18e siècle en témoignent. C’est aussi le 2e plus grand port de plaisance de France.
La Rochelle, entrée du vieux port La Rochelle
Restaurant – Terrace – Deck 4 Aft World Explorer – Atlas Ocean Voyages
Les 3 tours de La Rochelle sont les vestiges des fortifications édifiées autour de la ville. La tour St-Nicolas aux murs épais de 3 à 5 m et la tour de la Chaîne constituent la porte d’entrée du vieux port. Elles en assuraient la défense : on tendait entre les deux tours une énorme chaîne quand on voulait interdire l’entrée du port aux navires. La tour de la Lanterne doit son nom à sa lanterne de pierre vitrée dans laquelle on introduisait chaque soir un énorme cierge faisant office de phare. 2 gargouilles suscitent intérêt et curiosité : apparues lors d’une récente rénovation, elles sont à l’effigie de Cabu et Wolinski, les dessinateurs assassinés de Charlie Hebdo.
Belle-Ile-en-mer
C’est la plus grande des îles du Ponant, synonyme de couchant (ainsi appelle-t-on les îles du Morbihan). Avec le Palais (capitale de Belle-Ile) dominée par la citadelle Vauban et Sauzon archétype du petit port breton, deux autres communes se partagent les 85 km2 de l’île : les discrets bourgs de Locmaria et Bangor. La campagne vallonnée, les plages, les falaises découpées s’apprécient mieux à vélo. Les Aiguilles de Port-Coton, rochers aux formes surnaturelles, inspirèrent le peintre Claude Monet. A la pointe des Poulains, Sarah Bernhardt eut un coup de foudre pour un fortin militaire désaffecté. Elle y passa ses étés pendant 30 ans.
Belle-Ile-en-Mer , le phare des Poulains à Sauzon Le fort de Sarah Bernhardt à la Pointe des Poulains, Sauzon Sauzon Aiguilles de Port-Coton
Saint-Malo
Saint-Malo : « couronne de pierre posée sur les flots », Gustave Flaubert décrivait ainsi la vieille cité corsaire, bâtie sur la mer et clos de remparts agrandis par Vauban à la fin du XVIIe siècle,
La porte Saint-Vincent est la grande entrée de la ville avec le palais ducal construit par les ducs de Bourgogne. A gauche la tour « Quiquengrogne » fut bâtie par la duchesse Anne contre la volonté de l’évêque et elle fit inscrire dans la pierre « qui qu’en groigne ainsi sera car tel est mon bon plaisir ». Intra muros, la vieille ville renferme des maisons d’armateurs, de corsaires, la cathédrale Saint-Vincent avec la tombe de Jacques Cartier qui « découvre » le Canada et s’en empare au nom de François 1er en 1534.
Sur les remparts souffle encore l’esprit d’aventure et le courage des corsaires, une épopée qui coïncide avec l’âge d’or de la cité au XVIIIe siècle. Parmi les plus connus, il y eut Surcouf, René Duguay-Trouin et le père de Chateaubriand qui pratiquaient la course et partageaient leur prise avec l’Etat. Ils contribuèrent à la richesse de la ville « construite en 10 siècles, détruite en 10 jours et rebâtie en 10 ans ». Pendant la 2e guerre mondiale, des bombes lâchées par des américains tombent sur la vieille ville et la détruisent à 80 %. Certains hôtels particuliers ne sont pas des copies pur jus des originaux mais la masse minérale des maisons de granit serrées les unes contre les autres impressionne. La tombe de Chateaubriand n’est pas loin. Le touriste organisé descendra du rempart à la porte des Champs Vauverts et profitera de la marée basse pour rejoindre le Grand-Bé. Contact avec le sable, les goémons, les galets. La tombe, protégée par une grosse croix de pierre, est creusée sur un récif. Le bruit des vagues berce le dernier sommeil de l’écrivain.
La tombe de Chateaubriand St-Malo, Bretagne
Le Havre
Le navire vogue vers Le Havre que nous atteindrons au petit matin. Cette planète cosmopolite d’acier va se sentir chez elle le temps d’une escale d’un jour. Avant de repartir vers l’Europe du Nord. Rien n’entrave en coulisse ou sur la scène la mission d’un bateau de croisière : pourvoir des souvenirs éternels à des passagers privilégiés… L’esprit autant que l’œil se font vite à ce style de vie.
PRATIQUE
Passeport ou carte d’identité
Monnaie : euro
M/S World Explorer Rivages du Monde propose des croisières de luxe. Au programme : culture et découverts, luxe et aventures.
capacité 180 passagers, équipage 125 membres
Longueur 126 mètres, largeur 19 mètres
98 cabines, 9 catégories de cabines toutes extérieures
Le Plus : l’intégralité des équipages parle français
wifi payant accessible sur l’ensemble du bateau
Service client : 01 58 36 08 36
Photos complémentaires du navire:DR