Son T-shirt est trouA� et son anglais est pauvre, mais cela n’entame pas la bonne humeur de Mae.Tu, cocher du horse cart nA�224. Le jeune homme montre avec fiertA� un autocollant de la Ligue Nationale pour la dA�mocratie (LND), le parti de la cA�lA?bre opposante Aung San Suu Kyi, qu’il a affichA� sur la calA?che avec laquelle il promA?ne les touristes dans le dA�dale des monuments religieux de Pagan.
Cela aurait A�tA� inconcevable, et mA?me suicidaire, il y a seulement quelques mois. L’opposante et prix Nobel de la paix 1991 n’a A�tA� libA�rA�e qu’en novembre 2010 aprA?s une vingtaine d’annA�es passA�es en rA�sidence surveillA�e. Mais, depuis l’auto-dissolution de la junte militaire, en mars 2011, on veut croire que le A�A�printemps birmanA�A� est arrivA�.
Texte et photos: Bernard Poulet
Il faut se dA�pA?cher de visiter la Birmanie, l’un des plus beaux pays d’Asie du sud-est, qui sort du long hiver de la dictature militaire. Car il ne se passera pas longtemps avant que le A�A�pays des pagodes dorA�esA�A� oA? le temps semblait s’A?tre arrA?tA�, ne soit emportA� par la frA�nA�sie qui a saisi ses voisins A�A�A�mergentsA�A�.Certes, s’il y a eu quelque 500.000 visiteurs A�trangers en 2012, on est encore loin des 19 millions de touristes qui dA�ferlent chaque annA�e sur la ThaA?lande voisine.
Mais pour combien de temps? Le New York Times vient de placer le Myanmar (ainsi que la Junte militaire a rebaptisA� la Birmanie en 1989, de mA?me qu’elle a changA� Rangoun en Yangon avant de dA�mA�nager la capitale dans une ville nouvelle au centre du pays) au troisiA?me rang de ses quarante-cinq destinations A�A�incontournablesA�A� dans le monde.
DA�but 2012 un porte-parole de la Ligue nationale pour la dA�mocratie annonA�ait, au contraire, que, pour l’opposition, tous les visiteurs A�taient les bienvenus s’ils A�A�contribuent A� l’amA�lioration de la situation des gens ordinaires et A� la prA�servation de l’environnementA�A�.
Rangoun, machine A� remonter le temps
DA�barquer A� Rangoun, c’est voyager dans le temps. L’Asie chaude, souvent humide, exhalant ses senteurs d’huile de coco, de santal, de safran et de jasmin dans un paysage chaotique rappelant plus les rA�cits de George Orwell que les nA�ons de Bangkok ou les gratte-ciels de Hong Kong.
Dans un dA�cor datA� annA�es cinquante, les hommes, chaussA�s de tongs en toile et en bambou, trottinent le long de trottoirs dA�foncA�s en serrant leurs loungyis (un tissu en forme de large cylindre qui se noue A� la taille devant le corps et descend jusqu’aux piedsA�; il est A� motifs carrA�s pour les hommes, jamais pour les femmes).
Tous les matins, les moines au crA?ne rasA� arpentent les rues pour recueillir la pitance que leur offre les fidA?les. Les joues des femmes sont couvertes de Thanaka, une pA?te jaune, souvent dA�posA�e en dessins A�laborA�s, et sensA�e protA�ger la peau du soleil et la rendre douce. Les marchands de bois de santal, les A�tals A� mA?me le sol, les porteurs pliA�s sous de lourds paniers d’osier et les taxis brinquebalants, toutes ces images sont sorties d’un autre A?ge.
Seuls les embouteillages (les taxes sur l’importation de voitures ont A�tA�, enfin, abaissA�es) et les immeubles en construction le long des grandes avenues, les grues et les A�chafaudages de bambous indiquent que les choses sont en train de changer. Les panneaux de publicitA� de Pepsi a�� une autre nouveautA� a�� arborant les photos de Lionel Messi tA�moignent de l’A�tonnante passion des Birmans pour le football.
Un peu partout, des marchands ambulants ou des A�choppes de bouquinistes rudimentaires vous proposent des…livresA�; le plus souvent A�A�piratA�sA�A� quand il s’agit d’A�ditions A�trangA?res. C’est l’un des derniers pays oA? le papier imprimA� garde un tel statut. La 37A?me rue est un petit quartier latin oA? le Gibert local s’appelle A�A�Bagan Book HouseA�A�, caverne d’Ali Baba littA�raire, oA? l’on affiche ostensiblement, depuis quelques mois, les livres consacrA�s A� Aung San Suu Kyi et A� son pA?re, le hA�ros de l’indA�pendance assassinA� en 1947.
Dominant la ville, visible presque de partout, la pagode Shwedagon, montagne dorA�e dont le stupa central, rA�putA� abriter huit cheveux du Bouddha, s’A�lA?ve A� 98 mA?tres et qui est recouvert de 700 kilos d’or, dA�posA�s feuille aprA?s feuille par les fidA?les. C’est une ville dans la ville, entourA�e d’A�choppe de souvenirs jusqu’au long des escaliers de marbre qui conduisent aux temples et aux oratoires oA? l’on croise moines et moinillons vA?tus de safran et nonnes tout en rose. Au crA�puscule, les esprits, les scintillements des stoupas dorA�es et les A�A�natsA�A�, esprits bienveillants ou malfaisants, auxquels les Birmans croient presque autant qu’en Bouddha, viennent teinter l’ambiance d’une aura de mystA?re.Pour le reste, Rangoun, qui n’est pas belle, sait A?tre sA�duisante avec ses faux airs de La Havane au temps de l’embargo. Que l’on parcourt les allA�es du Scott Market (Bogyoke Aung San Market, le nom officiel) oA? l’on trouvera pA?le-mA?le tissus, rubis et piA?ces d’artisanat, le vrai et le faux mA�langA�s, que l’on dA�ne sur la terrasse du Junior Duck, au-dessus de la riviA?re et face au Port Authority, ou que l’on aille boire un cocktail au mythique hA?tel Strand, on se laisse prendre par l’atmosphA?re du lieu.
Tout flotte sur le Lac InlA�
A une heure d’avion plus au nord, l’immense lac InlA� qui s’allonge, A� 880 mA?tres d’altitude, entre les montagnes, aux limites des territoires Shan, est encore plus un fragile conservatoire de paysages et de mode de vie venus d’un autre espace-temps. Les longues barques pA�taradantes avec leurs moteurs importA�s de chez le grand voisin et adA�quatement surnommA�s A�A�buffles chinoisA�A�, y promA?nent les touristes, mais aussi les habitants et les moines du lieu, d’un bout A� l’autre des 20 kilomA?tres d’eau bleu mA�tallique (sur 10 kilomA?tres de large). Elles vont d’un village sur pilotis A� un verger flottant, en passant par une pagode sur l’eau.
Les habitants Hinthas (les A�A�fils du lacA�A�) glissent sur l’eau, en A�quilibre A� l’arriA?re d’espA?ces de pirogues, en pagayant avec une longue rame coincA�e derriA?re le genoux, ce qui leur laisse les mains libres pour jeter leurs filets. Les pauvres villages de pA?cheurs sur pilotis, faits de bois et de bambous tressA�s, A�tonnent par la belle sA�rA�nitA� qu’ils dA�gagent. On imagine que la Venise des premiers temps devait un peu ressembler A� A�a. Des A�les flottantes sont les vergers des paysans lacustres. Elles sont constituA�es d’un entrelacs de jacinthes d’eau et d’autres plantes aquatiques, chargA�es de terres et de boue et qu’on peut dA�placer selon les besoins. Cela forme un terreau exceptionnel pour la culture, A�cologique, des tomates, haricots, choux et autres lA�gumes.
On retrouve ces productions, mais aussi des poissons sA�chA�s, des fruits, des patates et des ustensiles de toutes sortes sur les marchA�s qui, chaque jour, se dA�placent d’un village A� un autre autour du lac.
C’est la mA?me atmosphA?re qu’A�voquait Orwell dans A�A�Une histoire birmaneA�A� (1), dA�crivant A�A�les gros pamplemousses qui, suspendus A� une ficelle, semblent autant de lunes vertesA�; des bananes rouges, des paniers d’A�normes crevettes couleur d’hA�liotropes grosses comme de langoustes, des paquets de poissons sA�chA�s, des piments A�carlates, des canards fendus en deux et traitA�s comme des jambons, des larves d’insectes, des tronA�ons de canne A� sucre.A�A� Presque rien n’a changA�, sinon les A�A�souvenirsA�A� pour les touristes.
On y vend toujours les feuilles de bA�tel en forme de cA�ur que les Birmans chiquent mA�langA�es A� la noix d’arec et A� une poudre de chaux et qui font les dents A�carlates et aident A� oublier les misA?res.
Assises en tailleur, quelques vieilles fument da��impressionnants A�A�cherootsA�A�, cigares baroques roulA�s dans des feuilles de maA?s et dont le tabac est relevA� d’A�pices.
Si on a un peu de temps, on poussera jusqu’au village d’Indein, au bord d’une riviA?re au sud-ouest du lac, oA? plus de mille stoupas en ruines donnent des allures d’Angkor Vat A� ces monuments de brique envahis par les bamyans, les arbres sacrA�s aux racines qui s’enchevA?trent aux branches. Nulle part peut-A?tre, les mystA?res du Bouddha n’ont autant d’intensitA�.
Pagan, lA� oA? le soleil A�pouse les temples
Mais, la��acmA� du voyage en cette terre du bouddhisme triomphant, c’est Pagan, le plus grand site archA�ologique d’Asie, comparable A� Angkor au Cambodge. Plus de 2000 stoupas, temples, monastA?res A�difiA�s entre le 11A?me et le 13A?me siA?cle. La lA�gende veut que ce soit le Bouddha lui-mA?me qui annonA�a que Pagan serait fondA�e 1630 annA�es aprA?s sa mort. Et, bien que les villageois aient dA� A�vacuer leurs habitations plantA�es au milieu des temples, les Birmans n’ont jamais cessA� de venir y mA�diter. Jamais a vie spirituelle ne s’y est interrompue.
En dA�pit des tremblements de terre et des restaurations hasardeuses, on est saisi par le spectacle de ces monuments de briques alignA�s A� perte de vue , sur cinquante kilomA?tres carrA�s, au milieu d’un dA�cor ocre piquetA� de bouquets de vA�gA�tation verdoyante. Au coucher du soleil, ou A� l’aube, cela devient magique quand la brume vient nimber l’horizon de gris. On s’attend A� voir sortir les divinitA�s de leurs sanctuaires (il est possible, au lever du soleil, de survoler le site en ballon en rA�servant trA?s longtemps A� l’avance et en payant…300 dollars par personne).
Grimper les marches jusqu’aux hautes terrasses du temple Shwegugyi offre, gratuitement, un point de vue exceptionnel sur les temples des environs. C’est de lA� qu’il faut regarder le soleil se coucher sur cet A�trange mausolA�e, cette plaine magique oA? seuls les calA?ches et quelques rares taxis viennent a�� A� peine – dA�ranger la sA�rA�nitA�. En calA?che ou A� bicyclette, on peut se perdre dans cette forA?t de monuments, mais l’aide d’un guide est indispensable pour s’y repA�rer un peu. On peut aussi louer, A� bon prix, un bateau et son pilote pour regarder le soleil se coucher sur l’Irrawaddy, le fleuve de 2.170 kilomA?tre, qu’on peut aussi remonter, en bateau de croisiA?re (2), jusqu’A� Mandalay et qui, au sud, se jette dans la mer d’Adaman par un large delta habritant des forA?ts de mangrove.Dans le temple le plus prestigieux, celui d’Ananda, oA?, dans quatre-vingt niches, sont sculptA�es des scA?nes de la vie du Bouddha. Selon un plan cruciforme, quatre Bouddhas gA�ants commandent quatre corridors identiques et, si vous savez vous placer A� la bonne distance, l’un d’entre eux vous sourira.
(1) A�A�Une histoire birmaneA�A�, Editions Ivrea, 1996, 20 euros.
(2) Le A�A�Road to MandalayA�A�, exploitA� par Orient Express, offre une option de luxe.
ChambresA�da��hA?tes
La��Alamanda Inn A� Rangoun
NOTES DE STYLE
> Les patronnes. Avouons-le, on est content de trouver Natacha et Anne-CA�cile, les deux FranA�aises qui ont ouvert ce petit coin de paradis il y a deux ans. Elles sont de bon conseil. 10/10
> L’atmosphA?reA�: Cela fait plaisir de dA�jeuner ou de consulter ses mails grace A� un bon wi-fi, gratuit, sous les bananiers en entendant s’A�couler l’eau d’une petite source. 9/10
> DA�co sympa. Les patronnes ont chinA� dans les meilleures boutiques du pays pour dA�corer cette ancienne maison d’une famille Chan. 10/10
> On aime les chambres parce qu’elles sont joliment dA�corA�es, que les sols sont en bois, on oublie le cA?tA� plus B&B de certains amA�nagements. La chambre 4 est A� conseillerA�: elle a un balcon. 8/10
> Quand on y revient aprA?s un pA�riple scandA� par la monotone bouffe internationale et les pauvres currys locaux, on savoure un pavA� sauce au poivre ou mA?me un couscousA�! Ann San Suu Kyi y est venu diner. 9/10
un peu chiche. Pourquoi faut-il choisir entre A�ufs et crA?pesA�? NA�anmoins, ce qui est servi est de qualitA� et plein de fraicheur. 7/10
> RA�servations. Ce n’est pas leur faute, mais dans un pays oA? les chambres d’hA?tel sont rares et chA?res, il vaut mieux rA�server des mois A� l’avance l’une des dix chambres disponibles. Vivement qu’elles agrandissentA�! 7/10
> Le quartier a les inconvA�nients de ses charmes. Verdoyant mais A� 5,5 miles du centre. Zone d’ambassades, de villas de nouveaux riches et de siA?ges d’ONG, il est parfois chaotique. 7/10
> ElectricitA�. Comme partout dans le pays il y a des coupures de courant, trop frA�quentes. Et l’absence de groupe A�lectrogA?ne peut vous plonger brusquement dans l’embarras. 6/10
> AccA?s. LA�gA?rement excentrA�, l’hA?tel peut A?tre difficile A� trouver surtout si l’on dA�barque la nuit tombA�e avec un chauffeur qui connaA�t mal la ville (il y en a beaucoup). On peut lui indiquer A�A�next to Bagan Airways OfficeA�A�. 6/10
TotaL 79/100
Une bonne adresse. Dans sa catA�gorie, bien sA�r. On est du cA?tA� des chambres d’hA?te pas des palaces internationaux.
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