D’Ancy-le-Franc, très pur château Renaissance injustement méconnu car à l’écart de la Loire, à Joigny sur l’Yonne, ville d’histoire, d’art et de gastronomie, en passant par Sens et sa mère des cathédrales gothiques de France, Tonnerre et son somptueux Hôtel-Dieu, voilà une balade géniale à faire en Bourgogne du nord où l’on ne manquera pas de découvrir aussi le chablis du Château de Béru et l’hospitalité chargée d’histoire de l’abbaye de Reigny sauvée et restaurée en Maison d’hôtes et d’événements culturels par un particulier qui l’a reçue en héritage il y a 14 ans.
Une merveille Renaissance, comme un Château de la Loire « égaré » en Bourgogne, entre Chablis et Dijon, au bord du canal de Bourgogne, Ancy-le-Franc se présente comme une épure de château, le château parfait, une symétrie parfaite par quelque côté qu’on le prenne, un carré aux dimensions admirablement proportionnées avec ses quatre tours d’angle carrées elles aussi, une pureté soulignée par la blancheur de la pierre et une ornementation des façades rigoureusement classique. Les doubles pilastres cannelés aux chapiteaux corinthiens, les arches du rez-de-chaussée, les niches de la cour intérieure en font un lieu d’une harmonie qui sait être rigoureuse sans être austère.Un équilibre des formes exceptionnel. Une découverte assez renversante pour celui qui le voit pour la première fois, ce qui était mon cas, et qui, l’émotion aveuglante aidant, serait assez tenté de le décréter « plus beau Château de la Loire » !… en Bourgogne.
Bâti entre 1542 et 1550, il fut l’un des premiers à l’être sur plans, des plans dessinés par un des architectes-star de l’époque, l’Italien Sebastiano Serlio appelé en France par François 1er pour travailler sur le Louvre et Fontainebleau. Le roi ne retint pas ses propositions, mais Lescot s’en inspira pour le Louvre et sa cour carrée. Et c’est le beau-frère de Diane de Poitiers, Antoine III de Clermond-Tallard, qui lui commanda Ancy-le-Franc.
Au XVIIème siècle, il est devenu la propriété du Marquis de Louvois, ministre de la guerre de Louis XIV et dont on verra plus avant dans notre balade bourguignonne le mausolée à l’Hôtel-Dieu de Tonnerre. Au XIXème siècle, les Clermont-Tonnerre le récupèrent et c’est une société anonyme, Paris Investir SAS qui veille sur lui depuis 1999. Avec attention, passion et quelques moyens dira-t-on, Ancy-le-Franc bébéficiant d’importantes restaurations. Notamment de ses exceptionnelles peintures murales Renaissance, un ensemble qui en fait le rival du Château de Fontainebleau, la référence française.
Le domaine comprend aussi de vastes écuries , une ferme sur cour, une orangerie, un jardin à la française et un jardin à l’anglaise avec une Folie du XVIIIe, un étang, des ponts, des arbres centenaires…
Un projet global de réhabilitation de l’ensemble du parc (50 ha) du Château d’Ancy le Franc est actuellement en cours avec notamment des créations de jardins sur les parterres est et ouest.
LE CHÂTEAU DE BERU,
DOMAINE VITICOLE EN PAYS DE CHABLIS ET MAISON D’HÔTE
En même temps,expression à la mode, on est là dans les coteaux chablisiens, au milieu des vignes, et le Château de Béru, propriété de la famille depuis 400 ans, est certes un domaine historique, mais aussi et surtout un beau domaine viticole. 15 ha cultivés en biodynamie, sans pesticides pour une production de 60 à 70 000 bouteilles de Chablis, de Chablis Clos Béru et de Chablis 1er cru. Deux femmes vigneronnes, Laurence et depuis 12 ans sa fille Athénais de Béru de retour sur la terre familiale après une parenthèse dans la finance.
Dégustations et visites guidées pendant la saison d’été. Sur rendez-vous hors-saison. Il y a 3 chambres d’hôtes très modernes dans les dépendances et 2 appartements plus dans le jus historique dans le château.
La dégustation dans les anciennes écuries, orchestrée par le charmant » homme à tout faire »du château, accompagnées d’assiettes « maison » et bourguignonnes de sa composition, fut doublement un grand moment.
Car il y avait aussi le vin, un très beau Chablis, du genre qu’on se laisserait aller à siroter tout l’après-midi en échangeant quelques idées. Un peu comme Sir John Gielgud dans Providence d’Alain Resnais, un de mes grands chocs cinématographiques et oenologiques.
C’ETAIT CHEZ LESLIE CARON
C’étaient d’anciennes granges à grain dont la comédienne et danseuse Leslie Caron est tombée amoureuse. Elle en a fait cet hôtel et restaurant au bord de l’Yonne, » La Lucarne aux Chouettes » qu’elle a tenu une quinzaine d’années. Sa déco est restée et la salle du restaurant avec sa charpente apparente et son grand poële à bois est très chaleureuse. Belle adresse dans la région, l’une des rares à proposer une terrasse face à la rivière en été. Site InternetJOIGNY, SI RICHE DE PATRIMOINE, D’HISTOIRE, D’ART
ET HAUT-LIEU ETOILE AVEC LA CÔTE SAINT JACQUES DE JEAN-MICHEL LORAIN
Il y a au moins trois bonnes raisons de venir à Joigny. Il y a d’abord son patrimoine historique. Toutes ces remarquables maisons à colombages du Moyen-Age qu’on découvre en se baladant dans la ville haute. Un patrimoine historique qui est aussi le chemin de mémoire militaire de la ville qui vit, de 1798 à 1914, 17 régiments de Dragons s’y succéder. Et surtout c’est le souvenir de la Résistance. Un haut lieu avec le groupe Bayard fondé par Paul Herbin, sa proche famille et 8 autres Joviniens au départ. Et aussi Irène Chiot, à l’origine d’un autre groupe de résistants, arrêtée chez sa mère avec l’écrivain Jorge Semprun et déportée à Bergen-Belsen où elle meurt de maladie quelques jours après la libération du camp.
Moins tragique, la deuxième bonne raison de passer par Joigny a un rapport avec l’Art moderne.
L’ATELIER CANTOISEL
C’est donc là la deuxième bonne raison de s’arrêter à Joigny. Un lieu inattendu dans cette ville d’à peine 10 000 habitants. Inattendu car en fait assez radical. Une maison particulière dédiée à l’art moderne et contemporain.« rue montant au palais, cantoisel, dernière maison avant le virage et les longues marches qui conduisent au parvis de l’église saint jean, cantoisel, simple contraction de chant d’oiseau, une maison du XVIIIe siècle, habitée, devenue depuis des années un lieu pour la peinture. »
écrit Claude Rutault, un peintre, dans l’avant texte de l’un des livres édité en 2009 par l’atelier Cantoisel et qui en retrace 27 ans d’activité. Donc 36 ans aujourd’hui .
Un couple, Jany et Michel Thibault,91 et 89 ans, elle poétesse, lui graveur marbrier et l’achat de cette maison en 1981. Tous deux amoureux de l’art et possédés par l’envie de partager cette passion. La ville de Joigny, le Conseil général de l’Yonne, le Conseil régional, la Direction générale des affaires culturelles, des donateurs privés, du mécénat local soutiennent le projet. Plusieurs centaines d’artistes vivant exposés durant toutes ces années, parmi eux, Alberola, Alechinsky, Baselitz, Bazaine, Boltanski, Bram van Velde, Buraglio, Buren, Chaissac, Degottex, Hantaï, Henri Michaux, Morellet, Pincemin, Sam Francis, Richard Serra, Sol Lewitt, Tapiès, Tal Coat, Xavier Veilhan, Viallat … et dans la maison aujourd’hui, des installations et des peintures sur le thème « Parallèles potentiels ».
Le conseil paraîtra cynique mais aussi de bon sens. Il faut se dépêcher d’y aller car Jany et Michel Thibault le disent eux-mêmes, la question de la transmission commence à devenir pressante et ils ne savent pas ce que sera la suite.
LA CÔTE SAINT-JACQUES AIMERAIT RETROUVER SA 3ème ETOILE
Le Relais & Châteaux du bord de l’Yonne à Joigny, devenu un haut-lieu de l’hospitalité de luxe à la Française très prisé par une clientèle aisée et étrangère – certains arrivent en hélicoptère -, avec de belles suites, des terrasses face à la rivière, un spa avec piscine et une table gastronomique doublement étoilée au Michelin. J’avais annoncé 3 bonnes raisons de venir à Joigny. Voici donc la troisième qui pour beaucoup de gastronomes est même la première voir la seule.La maison est cossue. Assez tradi dans sa déco. Rien qui ne puisse choquer le goût qu’on appelle souvent le bon goût. Ni style, Louis XV, Louis XVI, Napoléon III ou autre qu’on trouve souvent dans les Maisons qui veulent faire Français, mais du contemporain q ui se serait arrêté aux années 50.
Il est vrai aussi que la Côte Saint Jacques est un drôle d’ensemble de maisons rassemblées par rachats successifs côté Yonne et reliées par un tunnel qui passe sous la route à l’établissement d’origine au pied de la côte Saint-Jacques, une auberge créée par la grand-mère de Jean-Michel Lorain, Marie Lorain. Dans la famille, c’est le papa, Michel qui commence la course aux étoiles Michelin, la première en 1971, suivie d’une deuxième en 1976. Son fils, Jean-Michel le rejoint en 1983 après une formation chez Troigros à Roanne, Deligne alors Chef de Taillevent à Paris, et chez le mythique Fredy Girardet à Crissier en Suisse.
Ils obtiennent la troisième étoile en 1986. Jean-Michel a 27 ans, ce qui en fait le plus jeune Chef triplement étoilé. La Côte Saint Jacques est devenue l’une des grandes tables de France.
Perdue en 2001, cette troisième étoile est regagnée 3 ans plus tard puis à nouveau perdue en 2015 pour un défaut d’assaisonnement, paraît-il. Pas assez de sel! Paradoxal vu le poison qu’est le sel pour la santé.
Nonobstant ce parcours du combattant pour l’étoile, celle qui manque créant un certain déséquilibre économique dans la Maison, la cuisine de Jean-Michel Lorain est toujours une expérience de haut niveau comme en témoigne ce menu servi lors d’un voyage de presse en octobre dernier:
D’abord une très jolie île flottante au caviar « Petrossian » sur une gelée d’ail noir et une crème légère au raifort. Puis une mousseline de brochet, saveurs et senteurs automnales de nos sous-bois. La viande était un agneau du Quercy confit et rôti aux épices douces avec une crème d’amande au fenouil. Après les fromages, un dessert joliment dressé, un bavarois coco, crème légère au jasmin et fruits exotiques en équilibre. On verra sur les photos que les dressages sont très beaux et que souvent chez Jean-Michel Lorain qui est aussi un bon photographe, c’est très graphique. Quant aux assaisonnements et aux cuissons, nous n’avons, nous, remarqué aucune faiblesse.
A TONNERRE, UN TRES BEL HÔTEL-DIEU
Un joyau du XIIIème siècle fondé en 1292 par Marguerite de Bourgogne, la belle-soeur de Saint Louis et petite-fille d’un Duc de Bourgogne. Classé Monument historique par Prosper Mérimée en 1842. C’était au Moyen-Âge un lieu d’accueil et d’assistance avec une fonction hospitalière. Lieu d’hébergement aussi pour les pélerins en route pour Saint Jacques de Compostelle qui passaient par Tonnerre pour rejoindre Vézelay.Remarquable pour sa grande salle des malades longue de 100 m à l’origine, réduite à 90 m après l’aménagement d’un balcon au XVIème siècle. 18m de largeur et autant en hauteur sous une superbe charpente en chêne en berceau renversé.
A voir dans cette salle un curieux instrument astronomique, le gnomon, tracé au sol en 1785 par un moine bénédictin. Une grande ellipse correspond au solstice d’hiver, une petite au solstice d’été. Une baie en partie obstruée au-dessus du tracé laisse passer un un rayon lumineux dont la tâche sur l’axe central de celui-ci détermine le midi vrai en été à 13h44 et à 12h44 en heure d’hiver. Fascinant à observer. De même les sculptures, le mausolée de Louvois, ministre de la guerre de Louis XIV, une Mise au tombeau du Christ et le tombeau de Marguerite de Bourgogne, installées du côté du Maître-autel où trône une étonnante Vierge au buisson ardent gothique qui associe un thème de l’Ancien testament, le buisson ardent et Moïse, présent en bas à droite de la Vierge, à un autre du Nouveau testament, la Vierge et l’enfant.
Cette grande salle sert de lieu d’expositions temporaires alors que le musée auquel on accède par l’autre bout de la salle, côté tribune, présente notamment des manuscrits médiévaux et de l’art religieux. Et la reconstitution d’un bloc opératoire du début du XXème siècle.
SAINT-ETIENNE DE SENS, MERE DE TOUTES LES CATHEDRALES DE FRANCE
Elle n’y paraît pas à première vue, enchâssée qu’elle est dans le centre-ville de Sens. Au point qu’on a du mal à avoir une vue d’ensemble et dégagée de sa façade. Façade d’ailleurs un peu bancale avec sa tour nord du XIIème siècle jamais achevée et sa tour sud qui s’est écroulée en 1268, dans le siècle qui a suivi sa construction, et qui fut finalement achevée au XVIème siècle et surmontée d’un campanile Renaissance.Mais cette cathédrale Saint-Etienne a pourtant cette qualité unique d’être la première cathédrale gothique bâtie en France.
C’est vers 1130, 33 ans avant Notre-Dame de Paris, 64 ans avant Chartres, que l’archevêque Henri Sanglier décide d’en confier la construction à un architecte novateur que l’on connaît seulement sous le nom de « Maître de Sens ».
Dans cette époque encore romane, le « Maître de Sens » propose de se lancer dans la croisée d’ogives, une nouvelle conception du voûtement expérimentée aussi à la basilique de Saint-Denis dont la construction vient également de commencer. Croisée d’ogives, arc-boutant, les nouvelles techniques du gothique s’expriment pour la première fois à Sens et fixent le modèle de toutes les grandes cathédrales gothiques des siècles suivant.
Ce n’est pas forcément la plus belle des cathédrales gothiques, mais c’est la première. Emotion particulière donc et content de l’avoir vue.
Accolés à la cathédrale, les bâtiments du Palais synodal qui datent du XIIIème siècle et ont été restaurés par Viollet-le-Duc et l’ancien archevêché (XVIème et XVIIIème) contiennent les collections des musées de Sens. des collections pré- et protohistoriques (notamment des bijoux de l’âge du Bronze), des sculptures gallo-romaines et une donation Lucien et Fernande Marrey, des meubles du ferronnier d’art Raymond Subes, des céramiques de Jean Mayodon et des peintures flamandes et hollandaises dont un tableau de Peter Brueghel. Egalement, un bronze de Rodin, « L’âge d’airain » et des toiles d’Eugène Boudin et d’Albert Marquet. Il y aussi le Trésor de la cathédrale avec des tissus anciens et des vêtements liturgiques dont ceux de Thomas Beckett (XIIème siècle) venu à Sens avant de retourner à Canterbury après sa réconciliation avec Henri II d’Angleterre.
REIGNY, UNE ABBAYE CISTERCIENNE DEVENUE MAISON D’HÔTE
Dans la vallée de la Cure, à Vermenton au coeur de l’Yonne, entre Auxerres et Vézelay, le bâtiment des moines, belle bâtisse classique, apparaît au bout d’un chemin qui longe l’un des canaux latéraux qui achemine l’eau de la source dénommée « l’Abîme » jusque dans ce qui était l’enclos de l’abbaye de Reigny-lez-Vermenton.D’aucuns traiteraient de fous Louis-Marie et Béatrice Mauvais, beau couple typique d’une certaine tradition française avec ses quatre enfants, qui s’est lancé avec une passion dévorante et forcément une certaine inconscience dans la reprise d’un Monument historique. Et pas un petit. Non. Carrément une abbaye cistercienne fondée par Etienne de Toucy au XIIème siècle.
Quand Louis-Marie Mauvais hérite de ce bien en 2004, l’abbaye a eu un parcours très mouvementé, devenue Bien National, en partie dépecée, elle doit sa survie et le début de son sauvetage à un classement d’une partie de ses bâtiments au titre des monuments historiques en 1920. Et c’est en 1988 qu’elle entre dans la famille de l’actuel propriétaire qui décide, un de l’habiter, deux de continuer de reconstituer son histoire et de restaurer tout ce qui peut l’être et trois de l’ouvrir au public. De deux façons: pour des visites, ce qui est le cas depuis le 9 juillet 2005, et en initiant une activité touristique et événementielle pour à terme retrouver une autarcie économique de l’abbaye.
Des chambres d’hôtes et des gîtes ont été ouverts et les espaces historiques comme l’ancien réfectoire du XIVème siècle ou le cellier XVIIIème sont disponibles pour des événements privés et des événements culturels dont un Festival Paroles et Musiques à Reigny qui se déroule en automne et en été et est organisé par l’Association des amis de l’abbaye de Reigny.
L’abbaye se visite de Pâques aux Journées du Patrimoine le 3ème week-end de septembre. Ne pas manquer de se faire expliquer le système hydraulique mis en place par les moines et d’aller voir le colombier.
Mais la meilleure façon de découvrir Reigny est d’y loger et de prendre le temps d’interroger Louis-Marie ou Béatrice Mauvais, ou les deux. Les chambres d’hôtes sont superbes.
Photos©Dominique Bouchet et quelques DR .
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