
Une balade à faire absolument pour une double découverte : le Cognac est certes une eau de vie très réputée mais aussi – et on le sait moins – un patchwork de paysages au charme particulier : les deux sont indissociables !
Le Cognac à voir …
Une promenade qui vaut le détour pour s’éblouir des verts des vignes de cognac, hautes perchées, respirantes avec leurs larges allées (2,80 m) et leurs pieds espacés (1,10 m entre chaque pied, 2 500 pieds à l’hectare), baignées de lumière et parsemées de bosquets légers, posées sur des rotondités, couvrant des pentes douces, offrant un alignement impeccable presque passé au fin d’un peigne !
Car s’éblouir il s’agissait bien de ça dans cet appréciable détour en pays cognaçais, œil en alerte et papilles aiguisées…
Plus grand vignoble blanc de France avec 80 000 hectares répartis dans les Charentes – incluant les iles de Ré et d’Oléron – et quelques communes des Deux-Sèvres et de la Dordogne, l’appellation d’origine contrôlée Cognac (AOC) offre 6 crus différents : Grande Champagne, Petite Champagne, Borderies, Fins Bois, Bons Bois, Bois Ordinaires ou Bois à Terroir, dans des paysages d’une richesse et d’une diversité tant culturels que géographiques allant des coteaux de la Charente aux rivages de la Gironde jusqu’aux confins du Périgord.
Une première incursion en Grande Champagne (elle s’étend de Cognac à Jarnac avec Segonzac pour capitale et possède 13 200 hectares de vignoble), avec un arrêt sur la haute esplanade des magnifiques vestiges du château médiéval de Bouteville, permet d’admirer un panorama mêlant parcelles de vignes, champs libres, bois de chênes verts, clochers effilés de belles églises romanes, discrets logis enclos aux porches sculptés, ondulations des collines sous un ciel certes un peu chargé mais laissant néanmoins passer une lumière gorge de pigeon. Le terrain calcaire et argilo-calcaire est propice à la production de crus d’exception d’une grande finesse (grâce à un long vieillissement en fûts de chêne) …
Château de Bouteville
Moulin de Touvent
Quelques centaines de mètres en dévers, la petite Champagne (16 171 hectares de vignoble) forme un croissant autour de la Grande Champagne, et culmine à son plus haut à 50 m d’altitude sur un sol riche en calcaire appelé santonien. Du haut d’une butée sur laquelle trône le joli moulin de Touvent surmonté de son toit en châtaignier mais privé pour le moment de ses ailes (actuellement en restauration), on peut admirer un vaste paysage de vignes ondulant en pente douce, coupé de petites routes buissonnières ponctuées d’arbres souvent majestueux , et piqué de jolis villages aux pierres blanches.
Les Borderies que l’on aborde ensuite (4 000 hectares de vignoble et le plus petit des six crus), se partagent entre un plateau qui culmine à 90 m et une région plus basse dite Pays bas, déroulant entre les deux un paysage de vignes perchées et bercées de lumière puis couvrant les flancs arrondis de collines en pentes douces, avant de rejoindre une terre plus humide, plantée de jeunes vignes et de bois. C’est pour nous l’occasion de découvrir en compagnie d’Elodie Miremont, Directrice des domaines viticoles, et Frédéric Dezauzier, ambassadeur de la Maison Camus, ce très beau domaine qui compte 180 hectares de vignes sur les terres hautes des Borderies. La Maison Camus fondée en 1863 et indépendante, transmet son savoir-faire internationalement connu de père en fils depuis 5 générations. La façade de la demeure familiale qui trône au milieu des vignobles est une copie de celle du château Branaire-Ducru !
Vignobles du domaine Camus
Façade de la demeure familiale – Domaine Camus Magnifique porche sculpté à l’arrière de la maison
Les Fins Bois (31 200 hectares de vignes) entourent les trois crus précédents. Proches de l’Atlantique, on y observe un paysage de vignes denses et ondulantes qui n’est pas sans rappeler la respiration du grand océan … mais la surprise vient surtout de la découverte du domaine truffier de Christophe Prunier, non loin de Sigogne – charmant petit village de 998 âmes – qui a converti un ancien hippodrome et ses installations pour y planter 1000 jeunes chênes verts ou pubescents qui ont commencé à produire la fameuse tuber melanosporum : une entreprise qui n’a pourtant rien d’incongrue quand on sait que 50 tonnes de truffes ont été produites au XIXème siècle après la plantation de truffières dans le vignoble Cognaçais, alors ravagé par le phylloxéra. La replantation des vignes et la nécessité du développement d’une agriculture nourricière a néanmoins vu la disparition de ces truffières. Il s’agit donc d’un juste retour aux sources qui explique parfaitement l’enthousiasme communicatif de Christophe Prunier !
Christophe Prunier Truffière
Vignes de cognac – Île de Ré
Au Fort de la Prée sur l’île de Ré (l’un des rares forts en étoile dessiné par Vauban), nous retrouvons Michel Pelletier, personnage attachant, issu d’une vieille famille rétaise et dont les père et grand-père étaient vignerons comme il l’est devenu lui-même dès l’âge de 14 ans dans cette région des Bois ordinaires (1 100 hectares de vignes). Il a – entre autres fonctions notables – été vice-président du bureau national du Cognac durant 25 ans, et reste un fervent défenseur de la cave coopérative de Bois-Plage-en-Ré créée en 1950 et qui contrôle la majeure partie de la production, mettant ainsi un terme à 7 siècles de viticulture indépendante. Belle balade dans un superbe paysage de vignes sous une lumière qui vacille entre soleil et ombres, laissant apercevoir ici et là la mer qui n’est jamais bien loin et fait frémir les plants au vent iodé.
Abbaye des Châteliers entre mer et vignes – Île de Ré
Île de Ré
Carrelets sur l’estuaire de la Gironde
Depuis l’Île de Ré nous rejoignons Talmont-sur-Gironde, au bord de l’estuaire. Nous nous trouvons ici dans les paysages idylliques des Bons Bois, faits de falaises légères surmontées de longues rangées de vignes, avec en contre-plongée les poétiques carrelets de cette rive saintongeaise, et au loin la ravissante église romane de Sainte-Radegonde de Talmont dont le chevet surplombe l’estuaire. Nous avons le plaisir de visiter sur ce territoire plein de charme, le joli domaine des Hauts de Talmont créé en 2003 face au Médoc, qui développe en biodynamie sur un peu plus de 6 hectares vins blanc, rouge et rosé, pineau des Charentes et depuis 2020, le Cognac de l’ »S »tuaire, eaux de vie en VS et XO.
Un peu d’histoire : terrible affaire que l’invasion par le phylloxéra (sorte de minuscule puceron parasite ravageur de la vigne, qui s’attaque – dans sa forme souterraine – aux racines des ceps) des vignobles de la région de Cognac en 1872 pour s’étendre ensuite à la Charente et la Charente maritime et progressivement décimer le vignoble en provoquant la perte de nombreuses surfaces viticoles qui ne seront jamais replantées (280 000 hectares avant la crise phylloxérique VS 78 000 hectares en 2010). De ce malheur qui durera 20 longues années et pèsera lourd en termes de conséquences économiques et sociales, naîtra la reconstitution du vignoble grâce à un grand élan d’inventivité via l’utilisation progressive de porte-greffes alors importés d’Amérique et capables de résister aux assauts de l’insecte, et d’un cépage : l’ugni blanc. Bien adapté aux exigences de la viticulture charentaise il constitue aujourd’hui plus de 95% de l’encépagement.
Le Cognac à boire …
Si la qualité du Cognac n’est plus à démontrer, nous avons découvert d’autres façons de le déguster que celle traditionnelle d’après-diner, et c’est une vraie belle surprise.
Première expérience à Cognac, au « Louise », bar à cocktails – mais surtout bar à cognacs – situé au cœur de la ville éponyme, qui dispose d’une impressionnante collection de spiritueux. Patiemment guidés par notre bar tender on s’initie à la fabrication du « sidecar », cocktail au cognac par excellence qui nous surprend par son côté vivifiant, totalement à l’inverse des idées reçues sur ce breuvage considéré à tort, comme vieillot !
Le rendez-vous suivant a lieu à « La Maison » pour une rencontre-dégustation avec David Boileau, ambassadeur du cognac au Bureau National Interprofessionnel du Cognac (BNIC), et Philippe Jouhaud, co-président de la commission communication du BNIC.
Moment de concentration et d’échanges autour de crus VS (very special = vieilli au moins 3 ans en fûts), VSOP (very superior old pale = vieilli 5 ans à minima) et XO (extra old = vieilli 6 ans à minima), et un rappel fort utile sur l’élaboration en 6 étapes de cet estimable nectar, véritable produit de luxe par les soins qu’il demande et le temps qui lui est consacré : vendanges, vinification, double distillation, vieillissement, réduction et assemblage avant la mise en bouteille et l’étiquetage. Une récolte qui a lieu généralement mi-septembre en se terminant vers la mi-octobre, parfois à la main et le plus souvent à la machine, uniquement à partir de cépages blancs (principalement ugni blanc, mais aussi colombard et folle blanche), la double distillation devant impérativement être achevée avant le 31 mars de l’année qui suit la récolte. Le vieillissement de l’eau de vie obtenue en fûts de chêne, conduit après un minimum de 3 ans (VS) à sa réduction par un ajout d’eau distillée ou déminéralisée, ce qui permet au cognac d’atteindre un taux d’alcool réglementaire pour sa commercialisation.
La note finale de cet ensemble délicat revient à l’assemblage des crus vendangés (au nombre de 6, comme vu plus haut) chacun ayant subi double distillation et vieillissement. Cet assemblage, véritable signature des marques de cognacs, qu’ils soient issus d’un cépage unique ou multiple, tend au plus parfait équilibre, le « rancio » : un mélange d’arômes complexes issu de la rencontre entre une ou des variétés de raisin, d’un climat, d’un terroir, des actions du vigneron en amont et du maître de chai en aval, ainsi que de la typicité des fûts de chêne.
Pour mémoire, rappelons que le vignoble de cognac développe 80 000 hectares en cépages blancs et mobilise – outre 4 300 exploitants – environ 60 000 personnes (viticulteurs, négociants, chaudronniers, tonneliers…)
Nota : N’hésitez pas, après avoir ouvert vos papilles à la magie du cognac, à rejoindre la table de « La Maison » qui propose une cuisine inventive et raffinée dans un espace chaleureux, offrant au regard sur la hauteur de tout un mur, une très jolie collection de vins et de cognacs.
Délicieux couteaux à La Maison – Cognac
Au bar Louise – Cognac bar Louise Dégustation de superbes cognacs à La Maison, à Cognac Les Borderies – Au domaine de la Maison Camus, quelques nobles flacons …
Au domaine de la Maison Camus (cf plus haut « Le cognac à voir / Les Borderies »), nous avons le privilège d’être reçus dans la superbe demeure familiale. Nous démarrons par un cocktail très rafraîchissant constitué d’un superbe cognac (spécial Dry 100% Borderies) comme la Maison Camus sait en servir, mêlé à un tonic parfumé au citron et à la lavande, accompagné de quelques glaçons : le goût et la simplicité même ! le déjeuner est ensuite une invitation à vivre l’inoubliable expérience d’un « cognac pairing » : un voyage au gré de mets raffinés servi par un *duo chef et sommelier inspirant et très inspirés, accompagnés des sublimes cognacs de la Maison**. Où l’on découvre avec surprise que l’on peut déjeuner – certes dans les plus parfaites conditions – en buvant exclusivement du cognac !
**Camus Folle blanche Borderies – Camus VSOP Borderies servis frozen à -18° – Camus Rarissime 2004 Borderies – Camus XO Borderies
* www.experiencesurmesure.com – Cédric Coulaud et Oriane Chambon
La magnifique salle à manger
Le cognac est servi glacé ! Pureté et subtilité des robes de cognacs de la Maison Camus Le Chef, Cédric Coulaud
Elodie Miremont, Directrice des domaines viticoles de la Maison Camus
Au cœur des Fins Bois du vignoble Cognaçais, nous retrouvons Christophe Veral, président du BNIC depuis novembre 2020. Il a mis ce jour-là sa casquette de viticulteur (150 hectares de vignes à Sainte-Sévère, bouilleur de cru à domicile) et nous reçoit au milieu de ses vignes. Il nous parle de sa passion de viticulteur en particulier et plus globalement de son engagement pour le Cognac et son appellation, et des maîtres-mots qui sont sa priorité durant ses 3 ans de mandature : croissance, durabilité et qualité.
Le sérieux fait place ensuite au meilleur de ce que « la bonne franquette » peut offrir : futs de chêne en bordure de vignes, sur lesquels sont disposés flacons de l’exploitation de Christophe Veral, verres, belles charcuteries et fromages estimables pour accompagner une dégustation haute en couleurs … de cognacs : transparence, ambre miel et ambre profond. Un moment suspendu où il nous est encore donné d’apprécier l’accord parfait entre cette incroyable «eau de vie de vin» et de solides nourritures, et comme le dit si bien notre hôte en conclusion de cette parenthèse enchanteresse : « à beaux raisins, beaux vins, à beaux vins, belle eau de vie ! »
Christophe Véral
C’est enfin au domaine des « Hauts de Talmont » que s’achève notre visite gustative en compagnie de *Michel Guillard et de **Jean-Jacques Vallée. Tous deux également passionnés de vin, ils se sont associés pour créer les Hauts de Talmont en s’adjoignant le talent de Lionel Gardrat, vigneron et vinificateur du domaine. Après la visite des deux chais (à vin et à cognac) nous dégustons en apéritif le même type de cocktail que celui servi au domaine de la Maison Camus : cognac de l’Estuaire, additionné de tonic et de glace, avec toujours cette sensation de fraîcheur intense et de légèreté. Nous poursuivons avec un ***brunch de luxe au soleil et à deux pas de l’estuaire, arrosé des vins du domaine, avant de rejoindre Cognac puis Angoulême pour un retour aux réalités quotidiennes …
Eglise romane de Sainte-Radegonde-de-Talmont
*Expert en paysages viticoles, auteur et photographe, Michel Guillard a fondé la revue « L’Amateur de Bordeaux ». Membre du comité scientifique de la Cité du vin de Bordeaux, il a écrit de nombreux ouvrages sur le vin et sa culture. Il a coordonné la candidature de la Champagne au patrimoine mondial de l’Unesco, et publié une encyclopédie du Cognac
**Petits-fils ide négociant en vins, Jean-Jacques Vallée est un homme de marketing, expert de l’agroalimentaire et de la distribution. Il commercialise les produits du vignoble en gérant la communication
***Gourmet Club à Royan, chef à domicile, pique-nique gastronomique, brunch et cocktail, coach culinaire … contact@gourmetclub-royan.fr
Remerciements
Mention spéciale au « No3 The Château » qui nous a ouvert ses portes au tout début de notre séjour cognaçais pour une nuit. Château et ancienne distillerie situés à Salle d’Angles dans un décor de rêve qui fait la part belle aux vignes de Grande Champagne, le lieu a été restauré en 2015 par ses propriétaires actuels avec un raffinement absolu, et dédié à l’organisation exclusive de mariages ou d’événements très haut de gamme. Il dispose de six suites magnifiques qui peuvent accueillir jusqu’à 12 personnes.
Remerciements chaleureux à nos hôtes pour leur accueil et le superbe petit-déjeuner servi dans une salle à manger raffinée jusqu’au moindre détail.
Un grand merci à Patrick Raguenaud, qui a présidé le BNIC de 2017 à 2020. Fils de viticulteur et bouilleur de cru, ingénieur agronome, il a été maitre de chai pendant 15 ans chez Martell, puis directeur de Grand Marnier, et nous a accompagné de ses lumières et de sa gentillesse pendant tout notre périple.
à gauche Michel Pelletier, à droite Patrick Raguenaud – Île de Ré
Remerciements tout aussi appuyés à Gilles Bernard, agrégé de géographie, docteur en géographie historique, docteur d’Etat en géographie et aménagement, spécialiste du cognac à l’université, il est président du groupe de recherches et d’études historiques (GREH) qui nous a éclairé avec patience et disponibilité sur la géographie de la région.
Gilles Bernard
Un grand merci également à Michel Guillard qui a partagé avec nous son regard d’esthète et de passionné. Expert en paysages viticoles, auteur et photographe, il a fondé la revue « L’Amateur de Bordeaux ». Membre du comité scientifique de la Cité du vin de Bordeaux, il a écrit de nombreux ouvrages sur le vin et sa culture. Il a coordonné la candidature de la Champagne au patrimoine mondial de l’Unesco, et publié une encyclopédie du Cognac.
Michel Guillard avec entre ses mains « Les paysages du Cognac »
Il complète ce trio d’hommes passionnés, qui ont su nous montrer ce que des profanes ne peuvent pas toujours voir, et communiqué leur goût de la région et du cognac, dans tous ses états … !
Enfin bravo à Anne Marcon et Raphaëlle Amaudric / Clair de Lune, pour leur bienveillante assistance et leur sens du timing, qu’elles en soient ici très sincèrement remerciées.
Texte et photos © Bérénice Denis-Bouchet